L'émotion, le ressenti d'un patrimoine commun, passe aussi par des mots qui ont traversé la Méditerranée. Noms d'espèces animales, toponymes, mots d'usage courant , ils ont navigué sur le cours fluctuant des étymologies, souvent imaginaires.
L’Algérie est une nation inscrite dans une très longue histoire, mais son nom moderne est plus récent (« Algérie » en français depuis 1839, « El Djezaïr en arabe, pour le pays et non plus seulement pour sa capitale) et du coup, son « gentilé », le nom de ses habitants, a longtemps fait l’objet d’appropriations contradictoires. Les nationalistes algériens ont utilisé et revendiqué cet adjectif dès la première moitié du XXème siècle (même si le premier parti nationaliste, créé en 1926 s’appelait « Etoile nord-africaine) mais encore dans la deuxième moitié du XXème siècle, beaucoup d’Européens d’Algérie (aujourd’hui des Pieds-Noirs dans leur revue « L’Algérianiste ») l’utilisaient et le revendiquaient, y compris par oppositions aux Algériens (au sens actuel) nommés « arabes », « indigènes » ou « musulmans ».
Sans remonter au XIXème siècle (Bugeaud, Pierre Loti, Ismaël Urbain, Maupassant « l’Algérien n’a pas d’autres préoccupations que de le [Kabyle] dépouiller ») ni même à la première moitié du XXème siècle (J & J Tharaud, Victor Margueritte, …)
En plus d’Albert Camus, je viens de terminer la lecture de l’émouvant roman « Institutrice en Algérie » par Claude Olivier (Julliard, 1958 mais se référant à l’année 1954) où l’autrice dit, parlant de son ami Lakdar : “nous nous sentions tous témoins, lui, des erreurs arabes, nous des errements français, algériens plutôt” après « l’époque héroïque de la colonisation algérienne.”
Et Même le FLN en 1959 qui dénonçait « Le lobby algérien », expliquant l'influence déterminante des magnats de l'agriculture et de la politique en Algérie sur le gouvernement de Paris. » (Ali Haroun ; La 7e wilaya la guerre du FLN en France 1954-1962 ; Seuil 1986)
Ces jeux de citations n’ont d’autre but que de nuancer les jugements que nous pouvons porter sur une époque sans tenir compte de l’évolution du sens des mots. Quels jugements porteront nos enfants sur notre indifférence au sort du département de Mayotte ou de la nouvelle Calédonie française ?
Méhari : La petite Citroën légère en plastique fabriquée de 1968 à 1984 tient son nom du Méhari, une race de dromadaires.
Une étymologie, arabe, fait dériver le nom de cette race cameline de mihâr pluriel de Mouhr مهر qui signifie « poulain ». Coïncidence, le phare de Belle-Île (où cette voiture légère est fréquente) dont le gardien devait attacher sa Méhari pour éviter qu'elle ne s'envole, est …le phare des Poulains !
Le nom de cette race cameline, réputée pour sa rapidité, vient plutôt des Mehara, un peuple et un dialecte qui se partagent entre le Yémen et Oman. Montés sur ces chameaux, des régiments de « Méharistes » de l’armée française, en particulier Chaâmbas, avaient une réputation légendaire au début du XXème siècle au Sahara et en Syrie. Aujourd’hui ce sont des armes françaises plus techniques, vendues aux Saoudiens et Emiratis qui, au Yémen tuent des civils, en particulier des Méharas.
Ça y est, le «taxieur » algérien est arrivé en France ! Cent nouveaux mots sont entrés dans Le Petit Larousse illustré 2020.
«Le “taxieur” est d’origine algérienne et signifie, comme on s’en doute, chauffeur de taxi», rappelle le linguiste Bernard Cerquiglini, conseiller scientifique chez Larousse. Les Algériens ont,
encore une fois, enrichi la langue de Molière.
. bakoukader@yahoo.fr (Le Soir)
Kenafa
Selon les pays Kenafa désigne une patisserie faite avec des cheveux d'ange (qtaïf au Maghreb) et souvent du fromage frais non salé.
Parfois Kenafa désigne ce fromage frais non salé.
La Kenafa dans la littérature française
Dans « Mârouf, savetier du Caire » de L. Népoty d’après Les mille et une nuits, (Choudens, Paris, 1917, 76 p.) le fait que la Kenafa soit sucrée de miel de canne et non d’abeille est la source des malheurs conjugaux du héros.
André Gide (dans « Prétextes: Réflexions sur quelques points de littérature et de morale », Mercure de France, Paris, 1919) précise que La Kenafa est une « patisserie faite avec des filets très fins de vermicelle »
Gaouri, l’infidèle cow-boy français ?
Mosaïque de l'église de 56- Le Palais, photo Thiébaut
Gaouri (Gouere au pluriel) est un mot qui se répand en France pour désigner les Français, sur un mode qui va du familier à l’injurieux ou , rarement, au valorisant ("un travail de Gouere"). Gaouri vient de Giaour (gâvur en turc moderne, kaur, en albanais) qui, en turc, signifie « infidèle, chrétien ; cruel ; traître ». « devant un Turc, elle se fut cachée, mais un giaour n’est pas un homme » (Piere Loti, Aziyadé, 1879)
Son origine est encore plus orientale :« ghiav étant un nom persan qui veut dire veau, le ghiavour ou ghiaour, comme disent les Turcs, c’est l’homme au veau, l’homme au veau d’or » (P. Larousse, 1865). En fait, en persan moderne gaou گاو signifie « bœuf » (de même racine, cf bouvier) et l’on voit la proximité avec l’anglais cow . Plus en amont encore, le « Gaur» de l’hindoustani gour est un bœuf sauvage de l’Inde (Dictionnaire Robert, 1992). War étant un suffixe signifiant, en persan, “pourvu de “
On peut donc dire que le Gaouri est l’adorateur du veau d’or (gaour), idolâtre ou, plus largement infidèle et en particulier ... Français !
On a prêté à « Gaouri » diverses étymologies, certaines amusantes ; pour plusieurs Tunisiens, Gueouri (prononciation tunisienne) viendrait du français "guerrier", car ce sont les Français qui nous ont fait la guerre ; pour Gilles Kepel, Gaouri serait la la dialectisation de koufar ; …
L’orthographe varie aussi : « gueouri » pour Chebba Fadila (1980) ("Birra arbi, wiskhy gueouri"); Gori pour Salman Rushdie (" Gori" "s'était mis à la colle avec une Gori" ). Gaur a aussi donné « Guèbres » pour désigner les zoroastriens.
Luc Thiébaut , mars 2017 (avec les contributions d’ Etienne, Samir et Leila)
Une autre étymologie de « gaouri » peut le faire dériver de l’arabe gâwar, « réaliser une expédition ». Ce serait en fait de ghâra (« « faire une incursion en pays ennemi ») mais la graphie catalane Almogavres à une prononciation mugâwir et signifie « mercenaire ». Ghârâ ("incursion, raid, commando") a donné « algarade ». Et l’on se rapproche alors, par le sens, de l’étymologie populaire en Tunisie de « guerrier ».
« Sasnou” nom de l’arbouse
en tamazight ... et en gallo !
photo Mnolf
Le bulletin (janvier 2017) du conseil départemental d’ Ille-et-Vilaine a choisi le terme berbère Sasnou pour traduire “arbouse” dans le dialecte de la Haute Bretagne ! Cette “fraise perchée” qu’on ne “mange qu’une fois” (“unum edo”), arbutus unedo, bénéficie d’une curieuse extension géolinguistique pour un arbuste pyrophille et un fruit, centrés sur la Méditerranée occidentale mais que la geobotanique fait remonter jusqu’en Bretagne et même l’Irlande!
Luc Thiébaut
Fakir de la lande, c’est le nom du Lézard vert que lui donne ce panneau d’information qui nous accueille à Belle-Île (photographie Charles Hamitouche)
"Fakir", en français, signifie « magicien » et antérieurement « ascète vivant d’aumône, en Inde”. Il vient de l’arabe فقر faqr “pauvre, indigent”. Coïncidence, la racine “cousine” fiqr ”extrait, paragraphe” mais aussi “vertèbre” et fiqrîât : “vertèbré” !
DECOUVERTE DES LANGUES ECRITES DANS LES RUES DE VILLEJEAN
Le 26 septembre 2018, à l'occasion de la journée européenne des langues, nous avons déambulé depuis le Métro Villejean-Université jusqu’à la dalle Kennedy en découvrant des mots, sur les enseignes, les plaque de rue, les monuments, les pub…, en interaction avec la quinzaine de participants, des scripteurs de plusieurs de ces écritures (langues) et en mettant l’accent sur les ponts ainsi jetés entre les peuples et, en particulier, sur le lien de ces mots avec le français. Le clou de la balade fut le monument "A, aleph, alpha" ou Jean-Paul Philippe a sculpté cette lettre dans une vingtaine d'alphabets du monde.Plusieurs commerçants et institutions locales affichaient leurs noms en plusieurs langues et alphabets
« Au coin de nos rues … mots arabes sur les trottoirs de Rennes», conférence- diaporama-devinettes de Luc Thiébaut (maisondelamediterraneerennes.com),
Les rues de Rennes regorgent de mots arabes ou d’origine arabe. Plaques de rue, enseignes, affiches illustrent la richesse des échanges linguistiques depuis des siècles. Des rapprochements intrigants, des allers-retours entre les langues, un tour de la Méditerranée, dépaysant, émettant plus d’idées … que de CO²