Synagogues du Constantinois 2014

Un petit retour dans l’est algérien m’a mis, en 2014, sur les traces des lieux juifs dans des villes que j’avais habitées et dans les représentations des Algériens que j’ai rencontrés. N’étant ni juif, ni Algérien, je sais que j’aborde d’un cœur un peu léger quelque chose qui est lourd pour beaucoup. Mais la diversité culturelle et religieuse, en Algérie comme un France, m’importe. … Et beaucoup d’Algériens aussi ont soif de cette diversité, même quand elle se cantonne dans un « passé révolu »  et dans des pierres.    

 

J’ai donc retrouvé Béjaïa (Bougie, ci-contre), Sétif, Constantine, Jijel (Djidjelli), El Milia et surtout Batna. J’ai découvert Bougâa.

Dans chaque ville je demandais (parfois ingénument car le sachant) “où était la mosquée des juifs ?” (ouerah djemâa lehoud ?), d’abord à des personnes plus âgées que moi, puis en m’approchant du lieu, à des jeunes. Sur la trentaine de réponses, aucune hostilité, aucune méfiance, et plusieurs fois on m’accompagne jusqu’au lieu. Personne ne me demande si je suis juif ou non; parfois c’est moi même qui me présente comme prenant des photos pour des amis juifs de Dijon  Le mot “ synagogue[i] est peu connu, très rarement cité en premier, contrairement  à   “djemâa lehoud”, expression la plus utilisée, parfois “mesjid [mosquée] lehoud”, ou “gliz lehoud” ou “kenis[ii] lehoud”[église].


[i] En arabe classique (Larousse) , « synagogue » se dit bî’âa mais aussi kenîs

[ii] Kenis, « église » (mais aussi «  synagogue ») en arabe est de la même racine que knesset en hébreu.

 

 

Je ne m’étais nullement renseigné auparavant  sur l’existence (et la localisation)  de synagogue dans ces villes et je ne connaissais que la plus récente de celles de Batna .

Dans dans certaines villes (Jijel).ont m’a dit qu’il n’y en avait pas. À Bougaâ (ex Lafayette) j’avais en tête le beau roman de  Rabah Belamri : Le soleil sous le tamis, un enfant, une famille, un village d'Algérie avant l’indépendance,  1982, où « les Juifs du village étaient tous d'humeur joviale et d'une grande cordialité ». Mais, comme à El Milia “il y avait des juifs mais ils n’avaient pas de synagogue” dans cette Kabylie du Guergour.

J’ai donc pris des photos des synagogues de Béjaïa, Sétif, Constantine, et à Batna, des deux synagogues successives et surtout du cimetière juif.

 

La synagogue de Sétif semble à l’abandon, utilisée m’a-t-on dit comme maison de la culture.Son existence peu connue des moins de 50 ans, Moins connue, en tout cas que l’ancienne église (catholique) aujourd’hui mosquée et même que l’ancienne église protestante[i]; Et pourtant, à Sétif il y avait des juifs avant les romains et un synagogue du IIIe siècle.


[i] Sétif était un foyer important du protestantisme traditionnel, “réformé”, notamment  du fait de la compagnie Genevoise :Henri Dunant, fondateur de la Croix Rouge, était colon à l’emplacement de l’actuel “aéroport du 8 mai 1945

 

Au contraire, à Béjaïa et surtout  à Constantine, dans l’ex rue Thiers, (Rue Tatache Belkacem, ci contre) l’emplacement des synagogues est connu de beaucoup de citadins. Les échange sur place avec les jeunes voisins ont été très chaleureux.

 

A Batna, la dernière  synagogue est très connue dans son quartier, rue Grim Belkacem, près de son croisement avec la vieille “rue de l’Aurès”. Cette synagogue, imposante, date du milieu du XXème siècle et n’a donc pas “fonctionné” longtemps puisqu’elle ferma en 1968, l’année de mon arrivée à Batna  .

 

 

Elle ajoute sa coupole argentée à celle de la médersa voisine, aujourd’hui “Collège des frères Amrani”.

 

 

Elles se situent toutes deux en face de l’ancienne synagogue,  siège aujourd’hui d’un association d’alphabétisation.

 

 

Les jeunes femmes qui  y étudient la couture sous la bénédiction d’une belle inscription en hébreu, m’ont très bien reçu.

 

La synagogue plus récente, en face, est aujourd’hui siège d’une autre activité éducative, un centre de documentation où sont stockés et répartis les manuels scolaires (on m’y fit cadeau du manuel de tamazight !).

 

On ne peut rester aussi souriant en visitant le cimetière juif de Batna, envahi par les herbes et parfois pire. Le gardien, dont le père était déja gardien de ce cimetière, me dit que le consulat de France ne paie plus l’entretien, contrairement au cimetière “chrétien” (ou “civil” d’après le site de l’ambassade) voisin. Cet abandon et cette inégalité révoltent aujourd’hui  une des dernières pied noir de Batna, catholique,  mais aussi des amis musulmans.

Émotion de partager cette lecture d’une page d’Histoire de l’Algérie (et de la France) avec deux jeunes Batnéennes dont un collègienne qui m’interroge sur cette Histoire et sur ces religions. Émotion de retrouver les noms de Batnéens que j’ai connu il y a 45 ans et encore plus les homonymes de Dijonnais d’aujourd’hui. Le dernier Batnéen juif y fut inhumé  en 1979, alors que le dernier juif (que j’ai connu) aurait quitté  Batna au début de la “décennie noire”. Une tombe a été éventrée par le “rapatriement” récent en France, du père, batnéen, d’un rabin parisien.

 

Le spectacle est prenant. Surtout que je le découvre à l’heure où la ministre Nouria Benghabrit est « accusée » d’être d’origine  juive. Plusieurs Algériens que j’ai rencontrés ont regretté qu’elle ne se défende qu’en niant cette origine plutôt qu’en renvoyant ses détracteurs à la bassesse de leur insinuation.

Un certain antisémitisme apparait certes dans quelques discussions « politiques »   avec certains Algériens, mais dans l’approche de voisinage, dans les réponses à mes questions de visiteur (ci-contre : Constantine), on peut voir, dans les réactions positives des voisins de ces anciennes synagogues, des germes de l’intégration de cette composante juive de l’histoire dans le patrimoine algérien et sa diversité.   

                         Luc Thiébaut, Batna , juin 2014

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