version révisée de l'article paru dans "Eglise en Côte-d'Or", septembre 2025
Jean-Marie Jehl nous a quitté. Né en 1943 dans l’Alsace annexée, il a vécu à 4 ans l’expérience du déracinement vers Dijon et des préjugés sur les langues. Enfant à Dijon, il avait choisi l’Algérie en 1964 et la prêtrise en 1972. Curé de Batna depuis 2014, c’est dans son presbytère de l’Aurès qu’il est mort, accidentellement la veille du 15 août 2025. C’est à Batna, au cimetière chrétien qui jouxte les cimetières juif, ibadite et sunnite qu’il continuera à faire vivre la diversité spirituelle de l’Algérie.
Ordonné prêtre à Dijon pour le diocèse de Constantine, il vécut donc soixante années dans cet Est-Algérien où il a tant d’amis.
Il fut pendant des décennies professeur de physique, en arabe, à Babar et dans la ville nouvelle de Chechar, près du spectaculaire village de Taberdga, à la jointure de l’Aurès et des Némentcha. Pendant ce temps, il était aussi aumônier des religieuses qui vivent à Chechar, Tebessa et Bir el Ater à la frontière tunisienne.
A sa retraite de l’Education nationale algérienne, il prit à Constantine, la responsabilité de la maison diocésaine, « Le Bon Pasteur » (une appellation qui est venue spontanément à la bouche d’amis batnéens apprenant son décès). Vicaire général, il fut plusieurs années administrateur du « diocèse de Constantine et d’Hippone » faisant de lui le successeur de saint Augustin, évêque de la ville devenue Bône puis Annaba.
Nommé curé de Batna, il anima jusqu’au bout avec l’aide précieuse de sœur Marie-Dominique, une ouverture de la paroisse qui réunit de nombreux étudiants sub-sahariens chrétiens, y compris évangéliques. Mais ce presbytère[i], au centre de la métropole aurésienne, sur la place de l’Eglise démolie en 1970 à cause de sa vétusté, attire aussi beaucoup de Batnéens avides d’ouverture intellectuelle. La parfaite arabophonie de Jean-Marie alliée à ses qualités pédagogiques, tant en physique qu’en présentation du fait religieux en fit un précieux initiateur, y compris pour les visiteurs venus de France pour quelques jours ou quelques mois. L’Aurès, dont Batna est le chef-lieu, est une région largement berbérophone et pendant toutes ces décennies Jean-Marie se familiarisa avec la culture chaouïa. Mais l’activité de Jean-Marie s’exerçait bien au-delà de ce massif légendaire pour aller visiter, au prix de milliers de kilomètres de voiture, en tant qu’aumônier, les nombreuses prisons de la région, jusque dans le Sahara. Sa foi, rayonnante et communicative n’avait rien à voir avec le prosélytisme que l’Eglise catholique d’Algérie a abandonné depuis longtemps. Il était respectueux de tous les visiteurs, qui curieux ou en recherche, venaient frapper à sa porte. Sa Foi profonde était aussi une confiance dans cette jeunesse algérienne et africaine pour qui il fut un animateur pendant toute sa vie.
Régulièrement, Jean-Marie revenait en France suivre des retraites. notamment à Dijon où vivent encore ses frères et sœur et d’où ses parents étaient venus le visiter dans ses rudes montagnes. A Dijon, plusieurs lecteurs de « l’Eglise en Côte-d’Or » ont pu l’écouter sur RCF parabole ou à la Maison de la Méditerranée[ii] où il vint plusieurs fois nous parler de « Vivre à Constantine » puis de « Vivre à Batna ».
Attaché à sa région d’origine mais aussi à l’Algérie dont il acquit la nationalité, Jean-Marie était préoccupé par les relations en voie de dégradation, entre ses deux pays. Sa précieuse lettre annuelle de vœux soulignait l’incompréhension ou le manque de sensibilité de l’opinion française (qu’il suivait attentivement) sur différents problèmes graves que subissent l’Algérie (dans les années 1992-2002) et les pays arabes. Il participait en effet régulièrement aux réunions de la Conférence des évêques de la région Nord de l'Afrique. Sur certains problèmes graves, Jean-Marie parlait d’« aveuglement » comparable à celui qui régnait en France pendant la guerre d’Algérie. Mais il n’était pas plus tendre, en privé, sur certaines fermetures de la société algérienne.
Jean-Marie aimait les arbres fruitiers, et plusieurs de ses amis chaouis étaient arboriculteurs. Il est mort dans son presbytère en chutant d’un figuier ... arbre qui avait fait découvrir l’Evangile à son prédécesseur saint Augustin ! Une amie, musulmane, rapproche les circonstances de sa mort d’«un passage de Saint Luc qui retrace de la chute d'un personnage biblique monté sur le haut d'un figuier pour mieux voir Jésus de là-haut ». Halima voit aussi dans « son prénom tout un programme ». Effectivement Jean-Marie, décédé la veille de la fête de toutes les Marie, avait une affection particulière pour Marie (prénom que lui avait interdit l’administration allemande de son Alsace natale). Dans son presbytère une plaque rappelait l’ancienne Eglise Notre Dame de Lourdes de Barika (à 80 km de Batna). Quentin, originaire du voisinage de Notre Dame de Lourdes d’Albarika au Bénin nous a écrit ce témoignage : «J’ai eu la grâce de rencontrer le Père Jean-Marie durant mes années d’études à Batna (2017-2021). Il était un prêtre entièrement dévoué aux autres : étudiants étrangers, prisonniers, musulmans algériens… nul n’était exclu de son écoute et de sa bienveillance.
Pour d’autres Batnéens à l’annonce de son décès : « il était bien plus qu’un ami pour nous tous. Il était le père spirituel de la paroisse de Batna, un homme d’une bonté rare, toujours à l’écoute et plein d’humanité. Sa mémoire restera vivante dans nos cœurs. » (H.) « un ami fidèle, dévoué, aimant la paix et le bien. Jean-Marie faisait partie de ceux qui ont laissé une empreinte précieuse dans le cœur des habitants de Batna. Sa générosité, son engagement et son amour pour les autres resteront inoubliables. » « C’était mon père spirituel. Il m‘a expliqué l’inexplicable » (I.)
« Il restera toujours, pour nous, un symbole d’humanité, de bonté et de paix » (H. de Batna)
Luc Thiébaut
[i] Jean-Marie Jehl a vécu et est mort rue des Fidayines (à Batna), Fidayine est le pluriel de feda'iفدائي « celui qui se sacrifie pour quelque chose ou quelqu'un » !
[ii] Pour les Nuits d’Orient de 2025, la Maison de la Méditerranée organise une soirée sur « l’Aurès, les Aurès : nature, cultures et histoire », conférence-diaporama qui doit beaucoup à Jean-Marie. « (mardi 2 décembre, 18h à La Parenthèse de Quetigny)