Des confiseries à « Appellations d’Origines Combinées » :
les Halvas
Ces divagations visent à jeter quelques éclairages sur les localisations-délocalisations des recettes, référents, ingrédients, fabrication, renommées et consommation d’une confiserie attachée à tous les pays des trois quarts du pourtour Méditerranéen (et de la Mer Noire), de Marseille à Oujda en passant par Sarajevo, Salonique, Sofia, Sébastopol, Smyrne[1], la Syrie, Sfax et Aïn n’Sour (Miliana).[2]
La répartition de cette délicieuse tradition gastronomique comme les étonnantes références à une origine à la fois locale et étrangère illustrent le destin de la Méditerranée, de ses peuples et de toutes les traversées qu’elle a connu : invasion, reconquête, colonisation, exils, déportation, immigration, rapatriement, et aujourd'hui retrouvailles familiales, tourisme … et butinage gastronomique. Elle apporte des éclairages à la notion, largement volontariste, de patrimoine transméditerranéen. Le cadre géographique de ce phénomène culturel, les Pays du Sud, de l’Est -mais aussi du Nord-Est - de la Méditerranée[3] est en fait celui de l’influence ottomane et s’inscrit dans deux ensembles plus larges, le monde méditerranéen et le monde influencé par l’Islam. La Halva à base de tournesol, elle, a conquis tout le territoire ex-soviétique à partir de la Mer Noire jusqu’au fond de la Sibérie. Ainsi la république d’Arménie mange des Helvas aux « deux râteliers » : le sésame ottoman et le tournesol soviétique. Il s’agissait au XXème s. de valoriser ce sous-produit abondant de la production d’huile de tournesol ; cette fleur (d’Amérique !) symbolise si bien la désorientation qui motive cet article, entre le Levant et le Ponant !
[1] Nous reprenons le toponyme ancien (comme celui de Salonique) parce qu’il est encore utilisé sur des boîtes de Halva , en particulier en Tunisie, un des pays arabes qui a le plus intégré dans son patrimoine, son passé ottoman, époque où déjà Smyrne était devenue Izmir.
[2] En Iran, Samanou, une espèce de halva aux noix, est l’un des sept éléments symboliques offerts durant le Naou-Rouz, (nouvel an iranien, kurde, afghan, …) correspondant au début du printemps. la tradition veut qu'on apporte sur la table les haft sin, les Sept "S" : Sabezi, de la verdure ; Sib, pomme ; Serkeh, vinaigre (symbole de fermentation) ; Sir, ail (pour éloigner les mauvais esprits) ; Sekeh, pièce d'or; Somagh, (sumac) une épice (symbole de bonne vie) ; et Samanu, donc la halva.
Un proverbe iranien rappelle qu’« Un vinaigre comptant vaut mieux qu’une halva à crédit ».
[3] Plus large donc que les dits « pays SEM »… qui ne sont pas tous de langue sémitique ni même sémito-chamitique..
Mets …diterranéens
« Le choc est venu de l’Est puis du Nord, sous la forme de hordes conquérantes, par vagues successives, pratiquant des rites inconnus, des langues inconnues, se nourrissant de mets inconnus. » La façon dont Boualem Sansal parle des influences subies par l’Algérie[1] vaut pour tous les pays de Méditerranée (et sans doute, bien d’autres). Il en résulte une gastronomie, dont nous ne discutons pas ici l’unité, et un régime alimentaire érigé en modèle géo-diététique : « les cuisines d’Orient apportent beaucoup d’anti Oxydants ! » (Gaby Invernizzi). Même si la halva fait aussi partie du régime crétois… réel, elle ne postule pas dans cette catégorie diététique. Par contre, pour ce qui est de l’échange culturel, du liant entre les trois rives de la Méditerranée, la Halva est aussi méditerranéenne que l’Olivier …. Précisons cependant que sur l’arc nord-ouest de ce monde, elle est détrônée par des cousins comme le nougat (de « noix ») français, le touron (de « torréfié ») espagnol, le qubbajt [2] maltais.
Le régime ottoman
La zone concernée est celle qui a été influencée directement ou non par l’empire ottoman. Elle concerne tous les pays que cet empire a englobé[1], de Tlemcen à Sarajevo en passant par le Moyen-Orient et la Mer Noire, mais aussi les pays d’émigration des peuples qui le composaient : diasporas arménienne, syro-libanaise, sépharade, slave du sud, …C’est l’aire de la « pâtisserie orientale » avec un autre fleuron : la baklaoua[2] (baqlaoua en arabe, baklava en turc et en grec, parlava ou bacclawa pour les Arméniens) dont la prononciation est à éviter au Maroc et pas seulement parce que c’est le seul pays arabe à ne pas avoir été ottoman[3] !
[1] rappelons les périodes de domination ottomane pour les Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée : Maroc : jamais ; Algérie :1519-1830 ; Tunisie : 1534-1881 ; Libye : 1551-1912 ; Egypte : 1517-1881 ; Palestine : 1516-1918 ; Liban : 1516-1918 ; Syrie : 1516-1918, Turquie : 1290-1923. L’empire a aussi englobé l’Arabie,l’Irak, et en Europe, la Crimée, la Roumanie, la Bulgarie, la Grèce, l’Albanie, la Macédoine, la Serbie, la Croatie et, pendant un siecle, la Hongrie. … sans compter le siège de Vienne à qui l’on attribue l’invention d’une autre pâtisserie trans culturelle, le croissant.
[2] losanges fourés de miel et d’amandes (louz en arabe qui est un des étymons avancés pour « losange »)
[3] ce qui a fondé le titre de « Commandeur des croyants » du seul sultan arabe indépendant du Khalife d’Istamboul
Un mot arabe répandu par l’Islam
Haloua (halwa ﯼﺆﻠﺤ qui commence donc par leح ‘h ’pharyngal, parfois transcrit en « 7 ») est un mot arabe qui veut dire « douceur » (dans ses deux sens), « confiserie » et « charme ». Sa racine, halâ signifie « plaire », un mot cousin, houlîâ, signifie « ornement, bijou »[1]. Dans tout le monde arabe mais aussi dans beaucoup d’autres pays musulmans ou influencés par l’Islam (Inde, empire ottoman), haloua (halwa, halva) désigne un dessert sucré (ou des bonbons[2]) dont les recettes et l’aspect varient. Sous cette rubrique bien nourrie, nous ne prendrons que deux exemples, extrêmes géographiquement, qui flattent de plaisir les Palais de Marrakech jusqu’à ceux des Maharaja.
Au Maroc, la Haloua chebakia,[3] est une pâtisserie brune, trempée de miel et saupoudrée de sésame ; sa forme réticulée lui a donné son nom (arabe) et peut symboliser le réseau tissé entre les rives de la Méditerranée.
L’Inde cuisine de nombreuses Halwa, souvent à la cardamone, dont la plus connue[4] en France est la halwa de carotte (Gadjara Halwa[5]), parfois décrite comme une spécialité des Sikhs[6] du Pendjab.
Entre les deux, à Oman, où elle est faite de « nougat à base de noix, miel, beurre et épices », la halwa est citée comme « premier dessert »[7].
[1] chez les Ismaëliens, hallve hallve [répété]signifie « doucement, graduelement » (ismaili.net)
[2] La marque de bonbons Bonbecalou de Montbard réunit deux évocations phonétiques du bonbon
[3] parfois nommée en français « oreillettes au miel et graines de sesame »
[4] signalons aussi « Badam ka Halwa » à la cardamone et aux amandes.
[5] Gadjara ,« carotte » en sanskrit, passe en persan puis arabe : jezer (« Carotte »)
[6] que nous signalons du fait de la double origine, islamique et hindouiste, de cette religion dont la législation vestimentaire française a fait parler ces derniers mois.
[7] par reiterreisen.com
Des Halouas à la Halva
En turc (où le و « ouaou », ou « w », arabe devient « v », comme en hébreu), les haloua se disent halva[1] et il en est de toute sorte mais la (ou le) halva de Turquie qui est la plus connue à travers la Méditerranée et de par le monde est la halva de sésame ou Haloua Tahinia.
Ses variantes et ses « Appellations d’Origine Combinées » nous retracent toutes les traversées de la Méditerranée et des frontières qui, au fil des générations, ont produit nos sociétés, avec leurs douceurs, leurs astringences et leurs ingrédients mystérieux.
[1] à ne pas confondre dans une prononciation kabyle, avec Halba, « fenu…grec » (évidemment !), ou dans dans une prononciation allemande avec Halfa, l’« alfa »; deux plantes importantes pour le sud de la Méditerranée.
Les ingrédients de la Halva
La Halva (Halva tahinia) est composé de sésame, sous la forme « moulinée » de tahiné, parfois d’autres graines oléagineuses (coton[1], amandes, pistaches, noix, noisettes, …), de sucre, d’acide citrique, de vanille … et de divers additifs.
Le composant de base de la Halva est le tahiné (Tahini en grec). Le tahiné est la pâte de sésame[2] ou son huile. En arabe tahînâ, « huile de sésame », vient de tahana, ن حط « broyer » qui donne aussi mat hanâ, (ou, en Tunisie, tâhoûnâ) « moulin »[3]. Tahiné était aussi le nom sous lequel, au XIXè siècle la Halva était (très mal) connue en France [4].
L’autre ingrédient de poids de la Halva, comme de toutes les halouas, est évidemment le sucre. Il nous entraîne sur d’autres itinéraires. « Sucre » vient de l’arabe soukkr, de racine SKR ك ر س Sakira, qui signifie s’enivrer[5]. Pour les mêmes papilles mais venant d’une langue très différente, les modes diététiques ont amené un nouveau mot sur des boites de halva : le « light » n’est en fait que « sans addition de sucre » (bdoun skr), car, pour ce qui est des calories, merci Shehrazad[6] !
Parmi les additifs de la Halva, il en est de plus ou moins nobles, de plus ou moins clandestins. La vanille ne vient plus guère de l’île, ibadite, de Zanzibar ni même de la plante éponyme ; pas plus que l’acide citrique, ne vient du citron. Plus végétale, la saponaire[7] est parfois introduite comme émulsifiant. Parmi les additifs plus dangereux, le Codex alimentarius (FAO & OMS) cherche à proscrire, dans le tahiné, l'utilisation illicite de dioxyde de titane comme agent blanchissant.
[1] Certains Halvas (Xαλβας) de Grèce contiennent des graine de coton, par exemple MeZap, Thessaloniki (2004).
[2] Sésame vient de l’arabe semsen, ou simsim , de même sens, bien qu’au Maghreb on utilise plutôt Djeldjâne pour parler Grains de sésame. (jouljlân (Reig) de la racine jaljal : sonner, tinter, ce qui donne un autre éclairage au « sésame, ouvre-toi ! ». Il existe bien d’autres patisseries au sésame : takoûâ dans certaines régions de Tunisie, chbékia au Maroc, mais avec les graines entières.
[3] la marque tunisienne de Halva, Le Moulin, a choisi un autre mot arabe pour ce moulin : En Nâ’aourâ d’ou vient le français noria
[4] « Les Arabes (…) préparent avec son marc, auquel ils ajoutent du miel et du jus de citron, un ragoût nommé tahiné, qui a paru détestable aux Européens qui en ont mangé » (article Sésame « de l’arabe semsen, même sens » LAROUSSE (P.), 1865.- Grand Dictionnaire Universel.- Paris : Larousse, 1865-1876.- 15 tomes.
[5] La même racine sémitique (hébreu) chekar a donné, en latin Sicera « boisson enivrante » d’où vient notre « cidre » et par emprunt, l’appellation algérienne et tunisienne d’une boisson pétillante et noire. En Algérie, le Sélecto, presqu’aussi anciennne que le Coca-cola : « c'est le seul cas dans le monde où la copie elle est venue avant l'original, c'est dans le kitab Hamoud Boualem des records ! » (dixit afaulxbriole.free.fr/gazouz.htm). En Tunisie c’est le Boga ou Boga-cidre.
[6] marque et illustration d’une Halva de Tunisie
[7] La saponaire, (Chirch el Halawa) est utilisée en infusion au Liban. Les Halvas : la Gazelle, Shehrazad et Le Moulin (normal et light) de Tunisie(2003), Koska, de Turquie contiennent de la racine de saponaire ; pas Papayannis (grèce) ni la Gazelle (Tunis, ~ 1990).
La mondhalvasation ?
La Halva de sésame combine deux caractéristiques que l’on retrouve, dissociées, dans d’autres spécialités gastronomiques, dans d’autres objets patrimoniaux, mais dont l’association est un merveilleux paradoxe :
Plusieurs pays la revendiquent comme leur spécialité ;
Dans ces mêmes pays, fabricants ou consommateurs, son nom ou son image sont associés à un (parfois à plusieurs) pays étranger.
Ces références croisées ont précédé, même si elles ont été accentuées par les déplacements géographiques de marques, d’usines … et de consommateurs ! A l’image d’une petite mondialisation.
C’est ce que nous allons voir à travers l’examen d’une cinquantaine de boites, la plupart métalliques et décorées, achetées ou offertes depuis les années 1960 jusqu’à aujourd'hui, en France, Tunisie et, secondairement, Algérie et Turquie.
Grecque, arabe ou arménienne ?
Les boites d’Halva importées de Grèce montrent une grande diversité de rattachements territorial et culturel.
D’un côté, la Halva (Xαλβας) MeZap fabriquée à Thessaloniki[1], « désert traditionnel grec », s’affirme aussi grecque par l’écriture et l’image utilisées.
D’autres produits se présentent comme Halva de Macédoine (région oh combien frontalière ! et image gastronomique du mélange salé) et utilise aussi l’alphabet grec.
Par contre une « Halva supérieure » qui s’intitule aussi « Halva Tahine » fabriquée en Grèce, ne communique pas en grec mais en français et arabe (haloua rafî’aa c'est-à-dire « Halva supérieure »).
C’est de la Halva grecque que vendent les épiciers arméniens de France (par exemple Mayrig qui vend aussi des gaufrettes à la halwa). Mais on en trouve aussi à Dijon, chez des épiciers … marocains.
Si l’on passe de l’alphabet grec au cyrillique, la Halva, notamment de Bulgarie, fait partie de l’« épicerie slave » dans un pays d’immigration comme le Canada[2] mais aussi en Bosnie, dont elle est la « principale confiserie»[3], en Ukraine, …
Traversons vers le Sud-ouest (en arabe Maghreb = ouest) pour retrouver l’« Orient ».
[1] Thessaloniki est l’ancienne Salonique, ville emblématique de la diversité culturelle de l’empire Ottoman, capitale des juifs sépharades et notamment de la langue judéo-espagnole, jusqu’aux massacres nazis. La région grecque de Macédoine, voisine de la République (ex Yougoslave) de Macédoine, dont Thessaloniki est la capitale, fut le berceau du conquérant qui fonda des « Alexandrie » sur nos trois continents.
[2] sympatico.ca/kataeva
[3] reiterreisen.com ; en albanais, hàllvë, hàllva ou hallve
Tunisienne, Syrienne ou turque ?
D’Asie ou d’Afrique mineures ?
La Tunisie dont la halva est réputée bien au-delà de ses frontières, lui donne pourtant des noms du Proche-Orient. En Tunisie, on l’appelle couramment Haloua chamia, ou même Chamia tout court, c'est-à-dire «Syrienne» (Cham, nom d’un des fils de Noé, est le nom arabe ancien de la grande Syrie historique –incluant la Palestine- et le nom turc actuel de Damas, sa capitale). On l’écrit de plus en plus Halwa.
Une boite tunisienne, d’il y a 30 ans, se revendique comme Halwa de Smyrne, qui est l’ancien nom de la ville turque d’Izmir [1]
[1] Smyrne était appellée au XIXè siècle : Giaour Izmir , « Smyrne l’infidèle » du fait du nombre de non-musulmans qui l’habitaient : Grecs, Arméniens, Français (Larousse, 1865-1876) , notamment les familles Caporal (des Gauloises) et Balladur. Le turc Giaour est de même origine que l’arabe Gaouri, « infidèle ». Le diocèse d’Izmir est jumelé avec celui de Dijon
En Algérie
« La camionnette [des contrebandiers] puait le mouton volé, extradé vers la Tunisie, mais sentait bon le halva de Sousse, sans lequel le ramadan algérien serait une punition de Dieu ». Boualem Sansal nous dit combien les Algériens apprécient la Halva de Tunisie. Cependant, ils la nomment soit Haloua turk soit Haloua meliana. Cette appellation se rapporte à « Miliana », petite ville[1] de garnison turque au Sud-Ouest d’Alger, et est usitée jusqu’au Maroc (Oujda) où l’on aime aussi la Haloua meliana.
La Halva est plus difficile à se procurer en Algérie qu’en Tunisie. A Annaba (ex Bône, dans l’Est algérien) se fabriquait la « Halwa Le Léopard » (haloua el Fahd) mais il existe à Alger une société de Haloua chamia (c'est-à-dire de « Halva syrienne ») qui s’appelle Chamia El Qods (qu’on peut traduire par « Halva Jérusalem »). Mais, en Algérie, Chamia peut désigner d’autres confiseries comme Qalb-el-louz ou « cœurs d’amandes ».
[1] au pied d’une petite station où l’hiver n’a pas besoin d’oxyde de titane pour sa blancheur !
En France
Au XIXè siècle la Halva n’était (très peu) connue en France[1] que sous le nom de tahiné et attribué aux « Arabes»[2].
La consommation puis la production françaises de Halva fut développée, notamment à Marseille, d’abord par des Arméniens puis par des originaires de Tunisie (juifs, puis travailleurs immigrés). Aujourd'hui, à Dijon, on peut en acheter au marché de Chenôve (Halva de Turquie), dans les épiceries des Grésilles, et dans les hypermarchés (Halva de Grèce).
La décoration des boîtes de Halva.
Dans la tradition nord-africaine, la Halva se vend en boites métalliques, joliment décorées, y compris pour les boites de 5,3 kg. Les boites de Halva de Grèce sont souvent de ce style, liant ainsi l’ouest et l’est de la Méditerranée. Leur vente dans des épiceries arméniennes met en évidence leur ressemblance avec les boites de caviar (autre mot turc). Par contre, la Halva de Turquie, malgré son rôle de référence, est aujourd'hui vendue (en France) le plus souvent en boite de plastique, sans plus de décoration qu’un autre produit d’épicerie. Ces décorations sont riches d’incitations au voyage.
Des marques transméditerranéennes
On trouve, sur les boites de Halva, des caractères grecs, arabes, hébreux, cyrilliques, latins et, sans doute aussi, arméniens. Les emballages de Halva de Turquie sont rédigés en turc et allemand. Pour les Halva de Grèce et de Tunisie, il y a un modèle assez répandu de graphisme (lettres, françaises, et enjolivures) de « Halva Tahine », celui de « Halva » pour la Halva Le Lion de Tunisie et Marseille qu’on retrouve plusieurs décennies après, pour des « Halva supérieure » de Grèce[1].
La "Halva le Lion" est liée à la famille De Paz de Tunisie, juive « Grana » (ou Livournaise c'est-à-dire originaire du Portugal via la Toscane). Il y a 40 ans, les boites de Halva « Le Lion ; Joseph De Paz » indiquent Tunis mais aussi Marseille, avec des inscriptions en français, arabe et grec. Quinze ans plus tard, en Tunisie, la Halva Le Lion a gardé le même décor, mais a remplacé le grec par l’anglais, et Joseph De Paz par la SoTuAlCo.
[1] celle de Papayannis (à Larista) et Le Lion (import par Chirag, 65 r B. Le Roy 75012) vendues en France, en nov01
Les images de la halva : féline et féminine
Nous venons de voir Le Lion, de De Paz (Tunis, Marseille). D’autres lions figurent sur des Halva de Grèce, un léopard [1]sur la Halwa Le léopard (El fehed) d’Annaba (Algérie).
A la force et à la dent de ces félins, répondent la douceur du daim représenté sur la Halva Papayannis (de Grèce) et surtout la Gazelle, nom et illustration de la Halwa la Gazelle (el ghzâlâ) de la « Grande Fabrique de Confiserie Orientale Tunis ».
Avec comme emblème la Gazelle (de l’arabe ghazâl qui signifie aussi « galanterie »[2]), la haloua réunit les deux sens de « douceur » : « confiserie » et « charme ».
Une fabrique de Sfax (Tunisie) a pris comme nom pour sa Halwa chamia : Shéhérazade, princesse qui est représentée avec sa servante. La société Koska, d’Istamboul, décore sa boite de Tahin Helva des minarets du Bosphore avec une femme au premier plan. L’association, fréquente, de la Halva à la féminité[3] et son contraste avec la férocité[4] est utilisée dans la littérature : « une fillette (…) apporta du halva sur un plateau (…) et un garçonnet timide la mitraillette de son père (…) Ça dit le bonheur et le malheur dans la même galère (…) ça dit la foi dans le miracle et la marche inexorable des lendemains déchantants » (Boualem Sansal, L’enfant fou de l’arbre creux, 2000).
La féminité de la Halva est renforcée par une proximité graphique et phonétique en arabe ottoman : les soirées où « le grand vizir avait coutume d’offrir » au Sultan « des sucreries s’appelaient halwa [Halwaï schebané ou Sohbeti Halwa] « qu’il faut distinguer des fêtes du khalwet, ou promenade des femmes du harem » (Hammer-Purgstall, 1839)[5] : khaloua signifie « endroit solitaire » alors que harem, signifie « endroit interdit » ; or en arabe les lettres ح ‘h’et خ ‘kh’ ne se distinguent que par un point sur cette dernière.
[1] si les lions ont disparu d’Algérie il y a un siècle, le léopard y est encore signalé, et au Maroc, la panthère
[2] plusieurs noms de la gazelle, dont Rim, sont des prénoms arabes feminins, très présents dans la poésie anté islamique
[3] nous ne parlerons pas ici de la Halva et du tahiné utilisés comme pâte de soins corporels
[4] « Un vinaigre au comptant vaut mieux qu’une halva à crédit » (proverbe iranien)
[5] Joseph von Hammer-Purgstall, (1774-1856). Histoire de l'Empire ottoman, (p72 du tome XIV) traduction éditée en 1839 par Bellisard et al., Paris
Proximité des lettres et des goûts, altérité des genres, interpénétration féconde des cultures, … La Halva, patrimoine culturel dans lequel plusieurs groupes se reconnaissent, peut aussi devenir un élément du patrimoine transméditerranéen c'est-à-dire un objet commun qui fabrique du lien entre ceux qui l’ont en héritage, par ces voies si détournées, si réticulées (chebakia) ! La Halva est un met dans le banquet, frugal et convivial, auquel la Méditerranée invite les peuples qui l’entourent.
Luc Thiébaut, 2004 (modifié 2015)
Remerciements
Ce survol doit beaucoup à mes amis qui, certains depuis 60 ans, m’ont offert de la Halva et des Halouas, et m’en ont parlé : Abderrahman, Rafika, Amin, Ali et Houda de Bizerte ; Nadir de Batna à Ankara ; Houria de Miliana ; Tewfik de Tlemcen ; Zoulikha de Chenôve, Gaby et Yamina de Besançon, Radia de Bejaia, Khadija de Taza, … et bien d’autres.